Petit fait divers comico-sécuritaire hautement caractéristique de l’air du temps saturé d’effluves lacrymogènes, que nous respirons à pleins poumons après 50 ans de république bonapartiste. Un fait divers révélé par Le Courrier Picard le weekend dernier.

Quelques jours après avoir rendu le portable qu’on lui avait prêté il est convoqué au commissariat de son quartier. Puis il a passé une nuit en garde à vue.
Au cours des opérations de réparation, le technicien est tombé sur ce SMS, stocké dans la mémoire interne du téléphone. Qu'à cela ne tienne: faire dérailler un train, c'est comme arracher une caténaire, si on excepte le fait que ça n'a rien à voir : c'est sûrement un coup de Tarnac. L'opérateur dénonce donc les faits à la police qui ouvre une enquête préliminaire, pour non dénonciation de crime, s'il vous plaît, avec la procédure d'exception pour terrorisme, pour faire bonne mesure. On lui reproche d'avoir eu connaissance de la préparation d'un attentat et de ne pas l'avoir lui-même dénoncé aux autorités.
Stéphane a donc été convoqué, principalement pour lui demander qui lui a envoyé ce SMS, et aller chercher le compère émetteur par la peau des fesses, et lui demander s'il n'aurait pas par hasard des tuyaux sur une insurrection à venir et des comités invisibles.
ABENONHAIN, a répondu ce dernier. Après seize heures à l'isolement dans une cellule jaune qui sent la pisse aux normes républicaines, il est remis en liberté. Le procureur de la République d'Abbeville est en charge des excuses (et moi du graissage) :
« La procédure pénale est la même pour tout le monde, que le risque soit probable ou peu probable », rappelle Éric Fouard, le procureur, mettant en avant le principe de précaution qui prévaut en matière de terrorisme.
« Cette actualité récente [l'affaire Julien Coupat, qui remonte à sept mois] a certainement joué en sa défaveur, admet le procureur. Je comprends que, de son côté, la garde à vue puisse paraître violente mais, dans ce genre d'affaire, on ne peut prendre aucun risque. »
Je cherche pour ma part désespérément le risque que la police n'a pas voulu prendre en privant de liberté seize heures une personne qui avait reçu un SMS semblant indiquer que son correspondant n'avait pas la moindre idée de comment faire dérailler un train. Et pourtant, en tant que juriste de formation, j'ai de l'imagination, forcément.
Moralité de l'histoire ? Il y en a plusieurs.
- Si vous ne faites pas dans le terrorisme, pensez à effacer vos SMS de la mémoire de votre téléphone. Sinon, merci de les laisser pour les services de police.
- Encore une fois, au nom de notre sécurité (le déraillement de train étant avec la grippe porcine mexicaine la première cause de mortalité des Français, c'est bien connu), la liberté individuelle est balancée à la poubelle sans un seul instant de réflexion sur la nécessité de la mesure. Et avec la bénédiction de l'autorité judiciaire, garante des libertés individuelles selon la Constitution, qui sur ce genre d'affaire n'est vraiment pas à la hauteur de son rôle (tout comme le procureur de Nîmes qui, tout magistrat qu'il est, a fait appel de la remise en liberté d’une famille avec bébé de quatre mois inclus, la contraignant à passer trois jours de plus en Centre de rétention, pour rien. Principe de précaution, encore. On ne pouvait prendre le risque de laisser ce bébé de quatre mois en liberté).
Quand je dis que la procédure pénale française a des aspects médiévaux, je suis injuste. Avec le Moyen-Âge. L'Habeas Corpus, les Anglais l'ont depuis 1215 (C'est Jean Sans Terre, le vilain Prince Jean de Robin des Bois qui l'a accordé à ses sujets !), les Français quant à eux restent soumis à l'arbitraire de l'État qui peut vous embastiller, pour votre sécurité bien sûr, pendant 48 heures sans que vous ne puissiez rien dire ; et si c'était une erreur, ne comptez même pas sur des excuses. Des anglais et de nous, qui sont les citoyens, qui sont les sujets, à votre avis ?
PS. Et la pub: "on vous prête un téléphone pendant la réparation" va-t-elle rester de mise???
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3 commentaires :
ce n'est pas la politique du chiffre qui a changé c'est la présomption d'innocence qui a changé. Nous sommes passé d'un culpabilité possible à l'impossibilité qu'un être ne soit pas coupable. Dès lors ce gouvernement peut faire ce qu'il veut car chaque personne à forcément quelque chose à avouer, allez cherchez bien...
econoclaste
L’abus de pouvoir, c’est aussi ça : l’opérateur téléphonique qui lit vos SMS et vous dénonce au procureur. Vous finissez en garde-à-vue avec de bonnes chances de finir comme Coupat, emprisonné par lettre de cachet pour une durée indéfinie...
walkmindz
Ah les coups médiatiques, les coups d'éclat de MAM, cette grande bourge qui prend des airs de béret vert, baroudeuse. Non vraiment, Sarko est une patate à côté de celle-ci
Kalmos
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