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«Draquila», le film qui fait enrager Berlusconi

Sabina Guzzanti
Au Festival International du Cinéma de Cannes, la sélection du film de la cinéaste et satiriste Sabina Guzzanti a incité le ministre de la culture italien Sandro Bondi à boycotter la Croisette.

Quand l’Italie n’a-t-elle pas été fâchée avec le Festival de Cannes? Cette manifestation avait été créée dès l’origine pour contrer la Mostra de Venise fondée par Mussolini. Depuis, régulièrement, le gouvernement italien a reproché à la Croisette d’accueillir trop peu de films rouge-blanc-vert. Le cas du documentaire Draquila – L’Italie qui tremble ne fait donc qu’ajouter à une longue relation d’amour/haine. Avec pourtant, cette fois-ci, des proportions qui rappellent l’ire des régimes chinois ou iraniens quasi annuellement agacés de voir sur la Croisette des productions nationales interdites et des cinéastes mis à l’index.

Le ministre de la Culture, Sandro Bondi, a en effet décidé de ne pas faire le trajet Rome-Cannes. Il boycotte. Sur la seule base d’un extrait du film qu’il a découvert à la télévision. Si Sandro Bondi avait vu Draquila dans son entier, il n’aurait pas été moins ulcéré. Ce pamphlet, qui utilise certaines des méthodes bien connues chez Michael Moore (séquences animées, jeux de rôle où la réalisatrice se déguise en Berlusconi, etc.), est une attaque en règle contre le gouvernement Berlusconi. Plus particulièrement contre il Cavaliere et Guido Bertolaso, le patron de la Protection civile nationale, un service de secours à la population dont Sabina Guzzanti démonte les méthodes, 97 minutes durant, avec une virulence qui fait d’abord rire, puis effraie.

Ancienne vedette de l’émission comique Raoit diffusée sur Rai 3 jusqu’en 2003, Sabina Guzzanti n’en est pas à son coup d’essai. C’est elle, par exemple qui avait signé, en 2005 et en remportant un gros succès public, Viva Zapatero!, un documentaire sur son principal champ de bataille: la liberté d’expression en Italie.

Le titre de son nouveau film, Draquila, est une contraction de Dracula et de L’Aquila, la ville dévastée par le tremblement de terre du 6 avril 2009. Sabina Guzzanti part en effet du particulier, la gestion de l’après-séisme, pour pointer, en cercles qui ne cessent de s’élargir jusqu’à donner le vertige, le fonctionnement de la propagande berlusconienne et le dévoiement des institutions. «Cette enquête, explique la cinéaste, raconte avant tout comment, au nom de l’urgence et de la sécurité, les lois sont constamment détournées et les droits civils bafoués, par le biais d’une organisation soi-disant citoyenne, dite de Protection civile qui, grâce à Berlusconi, a acquis un pouvoir phénoménal.»

Et si L’Aquila et le détournement cynique du drame à des fins propagandistes n’étaient en fait qu’un exercice à petite échelle visant à expérimenter une mainmise qui engloberait tout le pays? Cette question, posée par l’un des interlocuteurs de Sabina Guzzanti, hante le film et le spectateur.

La cinéaste explique en effet que, sous l’impulsion de Berlusconi, la loi stipule à présent qu’en cas d’«urgence» ou d’«événements majeurs» (dont l’appréciation est laissée au gouvernement, mais qui concerne aussi bien un séisme qu’une visite du pape), la zone concernée est placée sous le contrôle de la Protection civile, qui dispose alors de tous les moyens: accès illimité à l’argent public, suspension des droits civiques, constructions abusives, contrôle des médias qui doivent digérer des informations préfabriquées sans avoir la possibilité de poser la moindre question ou, encore, à L’Aquila, l’interdiction pour les propriétaires de réparer leur propre maison.

Faut-il croire une réalisatrice qui dresse là le portrait, à nos portes, d’un pays placé sous le bon vouloir d’une Protection civile qui agit comme une armée d’occupation? Est-elle simplement aveuglée par son aversion pour Berlusconi comme Michael Moore, et ce fut souvent sa limite face à George Bush, au point de prendre des raccourcis discutables? Justement non. Sabina Guzzanti prend davantage de temps que son collègue américain. Au point que le défaut du film, sa longueur, peut être perçu comme sa principale qualité. Elle écoute. Elle observe. Et, même sans les artifices animés, même sans les commentaires acerbes de la réalisatrice, ce qui est entendu et vu dans son brûlot rend difficile voire impossible de ne pas abonder dans son sens. Celui d’une nation guidée à contresens de tout idéal démocratique. Effrayant en tout point, «Draquila» n’a pas fini de faire trembler.

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