/>

Le maître à penser du protectionnisme nous invite... à nous protéger et survivre

.
A propos d'«Après la démocratie», d'Emmanuel Todd


La crise financière convulsionne le politique dans tous les sens et de manière inattendue. La victoire d'un sénateur noir libéral, qui de plus est «novice», aux élections présidentielles américaines de novembre 2008 peut être considérée comme une première surprise parmi tant d’autres. Quoi d'autre nous réserve l'avenir?
L’historien Emmanuel Todd, démographe de son état, s’est fait un nom en prédisant à temps[*] l'effondrement de l'Union soviétique. Fin 2008, il est allé voir dans la boule de cristal de nouveau. Dans son dernier livre, Après la démocratie (Gallimard), il évoque la possibilité alarmante de l’avènement d'une société post-démocratique en Europe, le retour aux fantômes de la dictature et de la xénophobie où l’on désignerait à nouveau l’étranger comme bouc émissaire.
L'idée de départ est son incrédulité devant le fait qu'un politicien «vide, violent et vulgaire» comme Nicolas Sarkozy ait pu être élu président. Todd fait valoir que, comme ministre de l'intérieur, N.Sarkozy a déjà prouvé qu'il n’était pas préparé pour assumer de hautes fonctions, lorsqu’il avait attisé les tensions sociales lors des émeutes des banlieues en difficulté à l’hiver 2005. Les premiers mois d’exercice du pouvoir n'ont fait que confirmer ce jugement. Incompétent en économie tout comme en diplomatie, l'hyperactif N.Sarkozy va vite nulle part, un peu comme un cycliste pédalant longuement sur un vélo d'appartement.
Pourtant, l'élection de N.Sarkozy est un symptôme de la maladie de la démocratie française, plutôt que sa cause. La politique française est, depuis longtemps, clairement définie par ses divisions idéologiques: les communistes laïques, internationalistes, représentent la classe ouvrière, les gaullistes représentent le pays nationaliste, conservateur, les valeurs catholiques. Mais l'effondrement de la religion et des idéologies en général a détruit ce cadre, laissant derrière lui une société politique atomisée; et donc laissant la porte grande ouverte à la manipulation par des gens comme Sarkozy ou Silvio Berlusconi en Italie. De plus, ces temps économiquement difficiles vont pousser ce type de politiciens populistes à attiser les craintes du public envers l'immigration et à adopter des solutions de plus en plus autoritaires.
Toutefois, l'auteur est tout aussi cinglant sur l'opposition socialiste. Un parti socialiste de bureaucrates corsetés qui ont trahi les travailleurs qu’ils ont représentés par le passé. Quant aux fonctionnaires –grenier habituel du PS – ils n'ont pas à s'inquiéter des effets pernicieux de la mondialisation car leur emploi est protégé.
E.Todd dresse le portrait d’une élite politico-médiatique complice qui tire avantage de la mondialisation tout en étant de plus en plus déconnectée de la population qui en souffre. Aussi arrogante que l'aristocratie à la veille de la Révolution de 1789, cette élite ignore allègrement le point de vue des électeurs lorsque ça l’arrange. Les électeurs français ont rejeté par referendum le traité de Lisbonne; malgré cela, une version modifiée a été adoptée ultérieurement par le Parlement –les électeurs Espagnols et Britanniques ont protesté massivement contre la guerre en Irak, mais cela n’a pas empêché leurs gouvernements respectifs d’y envoyer des troupes malgré tout.
Les travailleurs critiquent durement les salaires bas pratiqués en Chine et la destruction d’emploi et la réduction des salaires que cela implique. De leur côté, les dirigeants Français font des immigrés musulmans le bouc émissaire et stigmatisent l'Islam militant, justifiant une intervention impopulaire en Afghanistan. Les employés veulent que l'Europe protège leurs emplois, mais malgré sa rhétorique de plus en plus protectionniste, N.Sarkozy –et l'opposition socialiste– respecte toujours les impératifs de libre-échange de l'UE et l'Organisation mondiale du commerce.
Selon le point de vue réductionniste d’Emmanuel Todd, la mondialisation n’est autre que l'exploitation des travailleurs bon marché de Chine et d’Inde par les sociétés américaine, européenne et japonaise. Todd s’érige donc en champion imbattable du protectionnisme européen. Ériger des barrières commerciales européennes va impliquer une augmentation des salaires qui, à son tour, stimulera la demande et les échanges commerciaux, soutient-il. L’«asphyxie sociale» qui est en train d’essouffler la démocratie disparaîtrait.
Les Britanniques, dont l'identité est enveloppée dans le libre-échange, ne pourront jamais adhérer au protectionnisme –suggère Todd– mais l'Allemagne et le reste de l'UE pourraient en être persuadés.
Souvent, la colère d’Emmanuel Todd devance son analyse. Trop de questions sont laissées en suspens. Est-ce que la mondialisation ne bénéficie pas tout de même, les consommateurs occidentaux? Pourquoi l'Allemagne, l'un des plus grands pays exportateurs, ne tourne-t-elle pas le dos au libre-échange? N.Sarkozy n’a-t-il pas été à la hauteur dans la gestion de la crise (du moins, sur un certain nombre de résultats bien meilleurs que chez ses voisins)?

Il ne fait aucun doute que l'assaut intellectuel au libre-échange s'intensifie. En France, notamment. Le livre d’Emmanuel Todd est un assaut enthousiaste dans cette guerre d'idées! Mais le livre est trop iconoclaste et nationaliste pour pouvoir en extrapoler un enseignement clairvoyant.
Un conseil: ne courez pas l'acheter en librairie. Certes, certaines hypothèses sont à première vue séduisantes, mais l’ensemble, sur un fond d’anthropologie des structures familiales et de démographie (le «cœur de métier» d’Emmanuel Todd), en reste souvent à des corrélations hâtivement construites et trop rapidement argumentées. La thèse de Todd se résumérait à quelque chose du type: Après la démocratie = "Après le sarkozysme", trop simpliste à mon goût. Si vous vous intéressez à l’avenir de la démocratie, lisez plutôt Wendy Brown, professeur de science politique à l’Université de Berkeley (Edgework: Critical Essays on Knowledge and Politics et Politics Out of History). Cette fois, l’analyse est d’autant plus stimulante qu’elle ne vise pas simplement le cadre français. Bien sûr, il faut garder en tête aussi le classique de Colin Crouch Postdemocracy
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
[*] Dans «La Chute finale» Il prédit l’écroulement du bloc de l’Est sous la pression des populations instruites et éduquées à forte conscience politique d’Europe. C’est Hélène Carrère d'Encausse («L’Empire éclaté») qui tirera la notoriété de cette analyse pour un autre ouvrage sur le même sujet, mais avec une énorme erreur. En effet, elle prédisait la fin de l’URSS par la montée en puissance des populations asiatiques à forte natalité.
.

9 commentaires :

smirting a dit…

Sur le livre d’Olivier Todd, je suis entièrement d’accord qu’il n’en vaut pas l’achat. Deux de mes étudiants qui l’ont lu pour une fiche de lecture en sont sortis eux aussi très, très déçus. Cependant son succès de librairie (voir le classement des ventes d’essais publié dans l’Express) témoigne d’une inquiétude montante dans le grand public cultivé sur ce point – ce qui me parait une bonne nouvelle malgré tout.
Je vais suivre ton conseil sur W. Brown
smirting

José a dit…

Effectivement, inquiétude il y a, mais il ne suffit pas de soulever des craintes; encore faut il faire de propositions. Todd revient à la vielle recette du protectionnisme que les voix les plus autorisées s'accordent à estimer comme responsable de l'avènement de la 1e et la 2nde guerre mondiale.
Todd, comme Robespierre croit à l'empire de la vertu. Il veut faire le bonheur des autres malgré eux. Les idéalistes sont souvent pleins de bonnes intentions. C'est là que se trouve le danger.
Enfin, emmanuel Todd est convaincu que l'économie de marché et la mondialisation ont désintégré la démocratie en France! Le premier reflexe c'est d'en rire tellement cela me paraît grotesque. Surtout, Emmanuel Todd est trop présomptueux. Dieu merci ce qu'il préconise est irréalisable.

Anonyme a dit…

Todd, notre dernier marxiste! Les voitures ne brulent pas seulement à cause du chomage. Quand au protectionnisme, une démocratie de consommateurs hystériques ne l’acceptera jamais. C’est le libre échange qui permet à des millions de nos contemporains d’aller s’éclater pour pas cher tous les samedis (et bientot les dimanches) dans les supermarchés, nos cathédrales contemporaines.
bellini

Anonyme a dit…

Âpre démagogie.
Implosion centripète.
Prout?
Oups ! Shame on me !
Mac

Anonyme a dit…

Comme toujours chez Todd, la mise en page est soignée. Non pas ses réponses aussi affligeantes que les autres productions d’Emmanuel Todd
Il est peut-être compétent en démographie. Mais hors de son domaine, il me semble qu’il dit beaucoup d'âneries.
Ponce Pilate

Anonyme a dit…

Oui, SF, Todd possède une contradiction insurmontable : il se dit scientifique et pourtant il présente un biais idéologique très fort.
C’est un progressiste, il ne vit pas dans le progrés (quoi vivre dans le progrés d’ailleurs?), il y croit comme d’autres croient en D.ieu.
D’où sa cécité sur des pans entiers de la réalité.
C’est le Lyssenko de la sociologie.
Three piglets

Anonyme a dit…

Le protectionnisme mérite un examen sérieux et non la caricature de quelques économistes obtus, attachés au libre-échange comme à un sacro-saint principe.
Contrairement aux croyances du libre-échange, il n’y a pas de sens de l’histoire économique mais une histoire économique, faite de phases d’ouverture et de fermeture successives. A l’image de l’Allemagne sous le règne de Bismarck, les périodes protectionnistes ne réduisent pas les échanges commerciaux et encore moins la croissance économique.
Mais, aujourd’hui, il faut bien le reconnaître, les allemands ne semblent pas emballés par l’aventure protectionniste.
Reste donc à les convaincre. Il ne faut pas désespérer. Selon la bonne vieille théorie du commerce mondial, chaque pays doit exporter ce qu’il sait le mieux fabriquer. En France, ce sont les idées révolutionnaires.
Emmanuel

José a dit…

@ Emmanuel:
Trop d'idéologie, encore une fois dans cette analyse là; et beaucoup de prétention lorsque, à l'instar de Todd vous affirmez que "il n’y a pas de sens de l’histoire économique mais une histoire économique" (d'ailleurs si ne me trompe pas c'est du copier-coller.)
Le pire, c'est bien que vous abondez dans l'esprit catastrophique qui préjuge d'un mal avant même qu'il ait lieu. Pour l’heure, la débâcle sociale tant annoncée n'est pas arrivée, les conflits sociaux sont le pain de tous les jours en France.
Il faut un peu plus d'imagination et, peut-être d'honneteté intellectuelle, pour dire haut et fort que l'écart, la fracture, entre une minorité de bénéficiaires et le bataillon des classes moyennes, n'a pas la même signification si l'on ne s'attaque pas au fléau: cette minorité de bénéficiaires inclut aussi pas mal de soi-disant "défavorisés" qui jouissent d'une rente de situation sur le dos des classes moyennes. Tant qu'on ne s'attaquera pas à cette sinécure là, on pourra battre des ailes pour dénoncer les cadeaux fiscaux, mais la maison restera toujours sans être balayée. Pour moi, c'est beaucoup de bruit pour rien, comme la dinde qui bat toujours des ailes mais ne prend jamais l'envol.

José a dit…

@ Emmanuel toujours:
Une chose, Todd fait à mon avis une analyse simpliste des choses, un peu comme si l'oubli l'emportait sur la mémoire (la "mémoire hypertrophiée", si chère à alain Finkielkraut). Et ainsi on dépeuple l’univers au point de ne laisser subsister que les archétypes. Tout est noir ou blanc. Manichéisme et esprit fermé (close-minded, que diraient les anglo-saxons) nourrisent cette espèce de haine pour l'avis de l'autre, qui permet à Todd de "récoder" à sa guise la réalité présente ou historique et de se réconforter dans sa vision apocalyptique. José

Enregistrer un commentaire

 
Site Meter